Point d’orgue avec le chanteur lyrique Paul Gay……
17 01 2012Photo Marianne Rosenstiehl
Paul Gay est un baryton basse français né le 8 novembre 1968. Cet artiste lyrique possède une voix exceptionnelle qui lui permet de chanter des rôles allant de Haendel et Rossini à Debussy ou Wagner. Il s’impose dans des répertoires et des langues variées en France comme à l’étranger et c’est à l’opéra Bastille à Paris que je suis allée l’écouter pour la première fois dans le rôle diabolique de Méphistophéles . Il partageait cet opéra avec le ténor Roberto Alagna (Faust) et la soprane Inva Mula (Marguerite).
Il fait beau et nous avons rendez-vous devant la belle église Saint Eustache; j’arrive la première et entre dans l’église aussi pour la première fois ! C’est un cadre idéal pour me rappeler la voix de ce chanteur que j’ai écouté dans la messe en si mineur de J.S Bach. L’église est en face d’un restaurant mythique ……J’aperçois le chanteur souriant, venir vers moi. Après les présentations d’usage, visiblement ce n’est pas vers l’église que nous nous dirigeons, Paul Gay a faim et c’est l’heure de déjeuner, nous allons déguster « un pied de cochon » aussi pour la première fois.
SBR – Quelle est la première chanson que vous ayez chantée ?
Il esquisse un sourire malicieux
PG – Fais dodo
SBR – A quel âge ?
PG – C’est immémoriel !
SBR – Votre plat d’enfance ?
PG – J’ai plein de souvenirs sucrés ! De gâteaux, de crumbles, de crèpes, mais surtout de riz au lait, il faut que les grains soient juste imbibés et gonflés sans être pâteux ni ruisselants de lait dans la cuillère.
Je découvre un fin gourmet, et par la suite un fin cuisinier !
SBR – A quel âge avez-vous découvert votre voix de basse ?
PG – A 20 ans par hasard.
SBR – A 20 ans qu’avez-vous découvert dans votre assiette ?
PG – Je dirai que ce n’est pas dans mon assiette, mais dans mon verre. Vers 18 – 20 ans j’ai commencé à m’intéresser et à apprécier les breuvages alcoolisés et sourtout les vins; j’aime beaucoup les Bordeaux, mais aussi ceux provenant de n’importe quelle région, alors que je n’en avais aucune notion avant.. A la même époque je faisais un plat qui était assez.. »pas piqué des vers », Un magret de canard aux pêches avec une sauce au miel et au porto.
Hum… Quand est-ce qu’ il m’invite ! C’est évident encore une fois je constate qu’ il y a vraiment de l’harmonie entre l’art et la gastronomie.
SBR – Quel est le chanteur qui vous a le plus influencé ?
PG – Il y en a deux : José Van Dam parce que c’est celui auquel je m’indentifie le plus vocalement et NicolaÏ Ghiaurov pour cette espèce de chatoyance du timbre que je recherche moi-même: la brillance d’une voix impalpable. Je m’identifie souvent à des voix que l’on ne peut pas saisir. Il y a des voix de basse, que j’appelle des voix de « pâte » qui sont rondes, corsées et en même temps matérielles, mais la mienne je la conçois comme une voix juste de brillance.
SBR – Est-ce que vous parlez de la voix ou du vin ? Vous employez le même vocabulaire.
PG – Ha oui ! Pourtant j’aime bien les vins qui ont du corps ! Ma voix a du corps mais elle est aussi vibratoire. Certains chanteurs barytons possèdent des voix où l’on sent que l’on pourrait les attraper, elles sont moelleuses, voyons… comme un gros oreiller. Ça, ce n’est pas moi, si j’essaie je me fourvoies!
SBR – Chantez-vous de la variété ?
PG – Non, je m’estime totalement anti-doué pour ça, je n’aime pas vraiment la variété que l’on entend en ce moment sur les ondes, ou à la télévision, cela dépend ou s’arrête la variété, j’aime bien le rock, je ne sais pas si l’on peut dire que Gainsbourg, Brel, c’est de la variété ! Je m’estime totalement incapable de m’exprimer sur ce mode qui ne me convient pas.
SBR – Etes-vous plutôt plat du monde ou steack frites ?
PG – Je suis plat du monde et le steak frites en fait partie.
SBR – Y-a-t’il une différence entre ce que vous écoutez et ce que vous chantez ?
PG – Oui, j’écoute surtout du piano, rarement du chant. Mon premier disque de Beethoven était l’intégrale des sonates par Yves Nat. J’aime aussi les quatuors, les concertos interprétés par Serkin; récemment j’écoutais la sonate au clair de lune par Emile Guilels, son jeu m’a « cloué au siège » ….
Vu son expression il revit le moment !
SBR – Votre voix me fait penser à une oeuvre de ce compositeur, le son est masculin, impressionnant et chaque note est porteuse d’une sensibilité vibrante.
PG – J’ai le sentiment qu’il y a des compositeurs masculins comme Schubert par exemple, bien que l’on disait qu’il avait une personnalité troublée, Schumann est un personnage féminin, pour moi sa musique vocale est impossible à interpréter. Je n’arrive pas à entrer dans cet univers de délicatesse intime, j’ai l’impression d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine ! En revanche je comprends facilement et pleinement Schubert.
SBR – Parmi tous les rôles que vous avez interprétés vous êtes impressionnant dans la chanson du veau d’or dans l’opéra de Faust, quel est le plat qui pour vous se déguste avec la même délectation et le même enthousiasme ?
PG – Ha ha ! Un tartare, une viande bien crue, et bien épicée .
SBR – Vous incarnez dans vos rôles, tantôt le mal (le diable) tantôt le bien (le prêtre) quel est votre rôle préféré ?
PG – Ni l’un ni l’autre, mon rôle préféré est celui de l’homme bléssé, comme Golaud dans Peleas et Mélisandre (Debussy) ou Philippe II (Verdi) Amfortas dans Parsifal (Wagner) ou Boris Goudonov (Moussorski). Bien qu’il y a des émotions différentes, violentes, une forme de peur, Mephisto, c’est amusant, jouissif, plaisant à interpréter mais il n’y a pas de sentiment d’amour, de pitié, alors que le public peut éprouver pour Golaud de la compassion, de la tristesse, de l’admiration, car cette espèce de colosse puissant incarne aussi la jalousie. Boris porte en lui la culpabilité, Amfortas est un roi avec une grande élégance, il y a toute une palette d’émotions que l’on peut susciter chez les gens. Ce que j’aime, ce sont les personnages puissants avec une félure.
SBR – Qu’est-ce qui incarne le bien et le mal dans votre assiette ?
PG – Toute chose selon sa quantité qui vient déranger le plaisir et l’équilibre.
SBR – Est-ce que vous cuisinez ?
PG – Oui et j’aime cuisiner.
SBR – Quel est votre plat fétiche ?
PG – J’en ai plusieurs, les lasagnes que je décline soit à la viande, soit aux fruits de mer, ou aux épinards. Les magrets, les curry d’agneau au lait de coco et noix de cajou, aubergines et courgettes ( que je laisse mijoter au moins pendant 2 heures pour obtenir une sauce bien onctueuse ), la saucisse morteau aux lentilles… Ce sont des plats qui reviennent souvent. En dessert je réalise la poire Belle Hélène car je confectionne moi même mes glaces et mes sorbets. J’aime surtout faire la cuisine pour mes amis, c’est un peu mon crédo dans la vie ! Je suis incapable d’aller voir seul une exposition de peinture, je me trouve souvent dans des pays étrangers, dans des villes magnifiques, ou il y a des musées sublimes, mais si je ne suis pas accompagné je n’y vais pas. L’art se partage sinon il n’a pas lieu d’être.
SBR – Vous voyagez beaucoup quel est le pays qui vous séduit le plus par sa gastronomie ?
PG -L’Italie
SBR – Quel est le lieu le plus magique en accord avec votre voix ?
PG – La douche ha ha ! Je chante tout et n’importe quoi, j’ai une théorie sur le chant quotidien, je pense que lorsqu’il me vient des phrases musicales d’opéra, etc… Ce n’est pas par hasard. J’écoute les mots qui me viennent à l’esprit, ils sont en général en rapport avec ce que je ressens et ce que je vis et souvent je m’auto-analyse de cette façon. « Tiens ça ne va pas trop aujourd’hui car je chante des mots qui impliquent une forme de souci » ou le contraire « je me sens bien et je chante une espèce de légèreté » .
SBR – Quel est le restaurant le plus en accord avec votre palais ?
PG – Ma cuisine
SBR – Si vous deviez chanter pour quatre personnes mortes ou vivantes à un dîner somptueux ?
PG – En un, Mon grand-père qui est mort qui ne m’a jamais entendu chanter et qui est une des raisons pour lesquelles je me suis mis à chanter. En deux, celui qui fera de moi un artiste reconnu dans le monde entier. En trois, Dimitri Mitropoulos chef d’orchestre. En quatre, la femme de ma vie.
SBR – Si Paris était une mélodie ?
PG – « Hôtel » de Francis Poulenc.
SBR – Quelle est votre actualité ? (nous sommes le 7 février 2012 )
PG – J’interprète le comte Des Grieux dans Manon de Massenet à l’opéra Bastille jusqu’au 13 février. Ce soir c’est la générale
SBR – Où allez vous dîner après la représentation ?
PG – À la cantine de l’opéra avant la représentation et après j’irai boire du champagne avec mes proches !
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Réjouissant !