POINT D’ORGUE AVEC… LE CHEF HISAYUKI TAKEUCHI
15 04 2011Le point d’orgue est un signe placé au-dessus d’une note qui indique une prolongation de cette note, c’est une sorte de pause qui dure le temps que l’on veut.
Hisayuki Takeuchi est un Chef cuisinier japonais né en 1961 à Seiyo dans l’île de Shikoku. Il devient chef patissier à 24 ans dans un restaurant de cuisine française à Tôkyô. Il ouvre son laboratoire de haute gastronomie avec Elisabeth Paul-Takeuchi son épouse au 7 bis, rue André Lefebvre dans le 15ème arondissement de Paris. Il est considéré comme un des plus grands chefs en France. Réceptif à toutes les émotions artistiques, chaque plat est inspiré par la peinture, la musique et la poésie. Il retrouve ainsi une forme d’harmonie universelle dans l’équilibre des aliments qu’il cuisine comme un artiste pour le bien du corps et de l’esprit.
SB-R Quelle est votre occupation préférée lorsque vous ne cuisinez pas ?
HT J’aime bien lire… Il y a longtemps que je veux relire Thomas Mann; « Toño Kröger » est un roman que j’ai lu à 20 ans et je ne l’avais pas compris. Le relire aujourd’hui me permettrait peut-être de le comprendre différemment car je pense avoir évolué depuis mes 20 ans. J’aimerai lire aussi « La Montagne magique » et « Matière et Mémoire » de Bergson. J’aimerais approfondir un peu plus ce sujet, je me pose beaucoup de questions, c’est vraiment mystérieux la mémoire, cela concerne aussi la musique, les couleurs, tout est lié à la mémoire, mais comme je travaille beaucoup, je n’ai pas vraiment le temps d’avancer dans ce domaine !
SB-R Pouvez-vous me citer un plat d’enfance gravé dans votre mémoire ?
HT Le riz chaud. A l’automne le riz venait d’être récolté, ma mère me le préparait, je me souviens de l’odeur et de la couleur de la rizière à l’automne.
( Hisayuki plonge sa mémoire dans le passé en esquissant un sourire presque enfantin ).
SB-R Retrouvez-vous le riz de votre enfance dans votre façon de le cuisiner ?
HT Oui, il a toujours le même goût puisqu’il vient de mon village, je suis très heureux de pouvoir me procurer ce riz, c’est la qualité qui compte, cela me donne envie de continuer à travailler .
SB-R Est-il en vente dans la « Boutique de la Maison Kaiseki » ?
HT Oui, je l’ai en deux variétés, une pour le sushi, Akita Komachi, et une pour le riz chaud Koshi Hitari.
SB-R A travers quel plat avez-vous découvert la cuisine française ?
HT J’ai commencé à travailler à partir de 20 ans, et pendant 2 ans je ne comprenais pas bien la culture française. Mon chef m’a montré comment il fallait déguster la soupe cressonnière, j’étais saucier, il m’a appris à goûter les yeux fermés 1 …2….3… fois en me concentrant. Après plusieurs essais, et à partir de ce moment là, j’ai sû ce qu’était la cuisine française !
SB-R Aujourd’hui vous vivez dans la capitale française…Si Paris était un plat ?
HT Je pense à un pot- au- feu traditionnel
SB-R Et quelle musique accompagnerait le mieux ce plat ?
HT Edith Piaf… mais cela ne conviendrait pas à ma cuisine !
SB-R Quel est votre compositeur préféré ?
HT En ce moment j’écoute Mendelsohn, Moussorgsky… Il y a plein de joie dans la musique, comme dans la nature qui nous offre des produits naturels, j’aime créer des alliances gustatives et spirituelles. Quand on en a besoin, on écoute, on comprend mieux, on avance; j’ai besoin de Mendelsohn, de Moussorgsky, on entend l’amour, la solitude… si on écoute tout ensemble, c’est dur ! Mais c’est ce dont j’ai besoin en ce moment, je le sens.
SB-R Le son est porteur de sensations, de sentiments, mais si nous revenons à la cuisine, quelle est l’importance d’un son aigü de friture ou bien d’un son feutré d’une cuisson à vapeur ?
HT J’imagine la structure de la molécule, son évolution immédiate, quand elle évolue bien, c’est cuit. Quand elle n’évolue pas, le son est différend. Je peux deviner sans toucher les aliments si la cuisson est bonne. Est-ce que c’est bien cuit ? à point ? saignant ? C’est le son qui me l’indique. J’écoute à point, ou bien saignant, si je ne suis pas sûr je touche, si ça ne suffit pas je mange, mais j’essaie de travailler sans toucher les aliments. Je travaille beaucoup avec la musique, elle vit en moi, elle est installée dans mon coeur pour m’entendre. Il n’y a pas de grande différence entre la musique et moi.
SB-R Pourquoi n’êtes-vous pas musicien ? Vous parlez comme un musicien.
HT Si j’avais eu l’occasion de toucher un piano, un violon qui sont mes instruments préférés, certainement j’aurais pu travailler la musique, mais j’ai eu la chance ou je n’ai pas eu la chance de posséder ces instruments, c’est notre destin, je suis mon chemin.
( Le destin d’Hisayuki est d’être pour notre plus grand plaisir un grand Chef cuisinier créateur ).
SB-R Pour quel personnage mort ou vivant aimeriez-vous cuisiner un plat ?
HT J’aimerais avoir à ma table Spinoza pour discuter avec lui. La conversation serait un plat idéal. Afin que les arômes nous envahissent pleinement, je cuisinerais « cuit ». La fumée s’élèverait embaumées d’odeurs et de promesses vers cet esprit pur qui n’a plus besoin de manger ! Nous sommes handicapés par les désirs de réussite, d’orgueil, d’égocentrisme et lorsque nous, êtres vivants, croquons le « cru » c’est pour réveiller notre conscience. Dans n’importe quelle cuisine saine, on commence par une salade et non pas par une friture : il n’y a pas de hasard !
Sur cette philosophie japonaise très personnelle, je médite devant une tasse de thé vert délicieux en compagnie d’Elisabeth et Hisayuki Takeuchi, pour réveiller ma conscience un petit sablé bien craquant au thé Genmaicha sera le bienvenu !
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J’ai adoré lire cette interview, très spirituelle et très très intéressante..
Super interview, riche personnage ! Il me tarde à goûter les plats de ce grand monsieur !
Intéressant comme interview !
A travers ses réponses, on peut percevoir la profondeur de l’homme.
Comme je l’ai dit en direct, je trouve cette interview très réussie, on y retrouve l’essentiel de ce qu’est Hisa, et l’esprit de sa cuisine, bravo!